Vénus beauté
La culture « plus » me lasse. Le déploiement de la féminité absolue qui fait la proie des magazines, le bonheur des commerçants de beauté, et notre désespoir, me fatiguent.
Mesdames, soyez sincère, n’avez-vous jamais rêvé d’être un homme ? un de ces énergumènes de Mars qui le bienheureux naît de sexe masculin par hasard et qui chaque matin de son existence, s’en félicite ? pour nous, aujourd’hui, il ne suffit pas de cocher la case F dans les formulaires. Rappelez-vous les F de Faible, Fragile et Falot , sexe déficient qu’il vous faudra rehausser d’un ton toute la vie, poudrer, maquiller, mettre en lumière, tout tenter pour remonter au niveau du petit mâle qui se fait pipi dessus tranquillement quand sa maman le change…lui. En toute impunité. A votre avis, pourquoi les talons existent-ils finalement ? pour se hisser plus haut ! puisqu’il semble en effet que la société , si elle feint de de nous donner la même place au balcon, nous tende dans la réalité toujours le tabouret pour grimper !
Dès l’instant de la délivrance où l’on entend crier « c’est une fille ! » il va vous falloir bosser dur. Il ne suffit pas de naître femelle, il faut ETRE cette créature et l’incarner à haut niveau. Il faut la dépasser, et largement, pour être à la page et … en devoirs du soir après le boulot, en plus, surprendre les hommes. Nous avons obligation de réserve mais aussi de briller, de timidité mais aussi d’assurance, de délicatesse mais aussi de solidité, de sex appeal mais aussi de grâce. Subtil mélange. Et si l’une de nous pointe du doigt la difficulté de vivre parfois avec toutes ces ambivalences, le premier homme qui passe nous taxe de « compliquée ». Et quelques wonderwomen font les malignes. En attendant de craquer…
Et puis par dessus le marché, nous voici depuis quelques années envahie par le raz-de-marée « culture plus » . Je cite : les ongles ? toujours plus longs, faux s’il faut. Les cils, toujours plus longs ? infinicils ou extensils, et le « faux s’il faut » pointe déjà son nez et ne va pas tarder à faire la une. Seins ? toujours plus. Et faux s’il faut. Cheveux ? extensions bien sûr, n’ y avez-vous jamais pensé, voyons !
Rien n’est jamais bien chez vous ! la femme n’est jamais bien, c’est une évidence. Une force maléfique depuis la nuit des temps (ou quelqu’un) nous attribue invariablement de l’imperfection. A compliment devant, critique derrière : belle, mais…idiote. Une tête, mais quelle absence de féminité ! et quand les Dieux sont avec vous : ravissante, intelligente, mais…. Fait peur aux hommes. Insupporte les autres femmes qui la débinent souvent.
En bref, si je compte la somme d’heures que nous passons à lutter pour rester en haut du panier ( gommage huilage râpage hydratation camouflage coiffage) et les kilomètres que certaines n’hésitent pas à faire sur pics vertigineux de quinze centimètres tous les jours….même à carrefour en poussant le caddie plein comme un œuf….
Si j’ajoute qu’une femme « bien » est toujours un peu « coincée » et qu’une femme « libérée » est toujours un peu…(sans commentaires), qu’une femme depuis des lustres en jogging caleçon entend vite qu’elle se » laisse aller »….quand je pense que ce soir, après le repas et le repassage je dois me râper les talons, faire cent abdos et me laquer les ongles des pieds… je rêve parfois. Mais quelle audace ! ! !
Eh oui être un Martien un jour, juste pour avoir le plaisir d’incarner le mâle en trois temps trois mouvements seulement !
1/Douche
2/Brossage de dents
3/Saut à pieds joints dans jean et t-shirt
= mec sympa confiant et qui peut tout à fait plaire aux femmes
Et hop, le tour est joué !
La caricature me direz-vous est facile et le trait grossier. Mais reconnaissons-le. La flânerie le long du Cap d’Antibes se fait mieux en baskets du 45 qu’en talons aiguilles du 37, les brushings font mal aux bras, le soutien-gorge à balconnets rembourrés serre parfois, et toutes ces petites choses inventées mises bout à bout forment ensemble une sacrée… servitude.
Un vrai corset d’habitudes. Féminines.
Signé : une femme qui aime les hommes.
Kaléidoscope
Le temps.
Nous parlons tant de lui. Il est cette troisième personne, ce « il » asexué qui a néanmoins intégré notre existence. Fédérateur, car le meilleur lien pour entrer en matière avec notre prochain. Chacun possède sa propre notion du temps, ancrée au plus profond de lui. Là-dessus à première vue parfaite égalité. Et, fait remarquable, envie et jalousie ne faussent pas la donne. Car la valse autour du temps est épatante, elle se danse à tous les coins du globe : les hommes jamais ne s’entretueront pour une affaire de climat (quoique), et mortels nous sommes, mortels nous resterons.
Mais pourquoi débattre inlassablement du temps qu’il fait, et du temps qui passe ? sommes-nous si obsessionnels qu’aucun autre sujet ne puisse nous captiver à ce point ?
Peut-on séparer ces deux concepts ? ils semblent imbriqués l’un dans l’autre, comme des poupées russes. Chaque jour l’être humain prend acte de l’état du ciel, mais aussi de l’inscription de la nouvelle journée qui s’ouvre sur le calendrier. Autrement dit, il cherche sa position sur le segment de la vie, accroché la tête en bas tel un panda. Sur cette barre imaginaire, notre attachement à vivre prend racine. Quotidiennement, certaines de nos angoisses trouvent ici leur source. Entre les heures qui s’égrènent et la météo… nous avançons sur le curseur.
Est-ce à dire, sur ce sujet, que tous les ressentis se valent ? que la philosophie posée, il n’est plus rien à dire ?
Non. Aujourd’hui je prends parti : je fus parisienne, longtemps. J’ai regardé le ciel bas et lourd de Baudelaire peser comme un couvercle sur l’Ile de France. Le gris ouateux enveloppait les tracas quotidiens, une main céleste les enfouissait sous terre dans le métro pour ne plus les voir.. Il est vrai que là-bas, les joies peuvent sembler moins visibles, elles ne s’étalent pas sur la plage, mais se font plus secrètes…cachées sous les manteaux. Dans les maisons, plus en repli.
Et à Nice, lorsqu’il pleut et que chaque enfant du pays y va de sa plainte, je suis, moi, happée par une délicieuse nostalgie de ma ville. Dans ma voiture les essuie-glaces, le reflet des phares, le bruit de l’eau éclaboussante, la hâte des passants à rentrer au chaud, me ramènent à mon temps. Il dura seize ans là-bas et ce temps là s’émouvait du pavé luisant des ruelles de Paris mouillé. Tous ces visages derrière les vitres des cafés. Ce temps là est à moi et ne ressemble pas à celui de ma voisine. En cela il marque sa différence. Cette indissociable réunion du vécu et du climat forment toute la singularité de notre existence. Mon pavé, mes cafés, mes embouteillages, mon RER.
Cette Côte d’Azur bleue et jaune qui clignote est étincelante, je vous l’accorde. Pourtant, je suis aussitôt plongée dans une grande béatitude lorsque la Riviera est assombrie. Pour si peu de temps, justement ! Qu’elle s’éteigne d’un coup comme cela renvoie aux Dimanches noirs à Paris, quand l’on mange de la tarte et que l’on boit du thé chaud avec les amis. Les enfants qui partent à l’école en k-way et en bottes, et reviennent avec des escargots ramassés avec la maîtresse en forêt. Le temps était ralenti, à ces moments-là. On était indulgent, avec nos rêves, nos loisirs, nos attentes, la file d’attente au cinéma sous la pluie. Forcément, pas le choix.
Ce temps là avait donc ses tons bien à lui et il dura, seize ans. Un autre coule dans le sablier, sous l’étendard des couleurs triomphantes du Sud. Si vous regardez dans le fond du kaléidoscope, que voyez-vous ? un puzzle mélangé , multicolore.
Votre temps, celui des autres et le mien, le tout en vrac.
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