Kaléidoscope
Le temps.
Nous parlons tant de lui. Il est cette troisième personne, ce « il » asexué qui a néanmoins intégré notre existence. Fédérateur, car le meilleur lien pour entrer en matière avec notre prochain. Chacun possède sa propre notion du temps, ancrée au plus profond de lui. Là-dessus à première vue parfaite égalité. Et, fait remarquable, envie et jalousie ne faussent pas la donne. Car la valse autour du temps est épatante, elle se danse à tous les coins du globe : les hommes jamais ne s’entretueront pour une affaire de climat (quoique), et mortels nous sommes, mortels nous resterons.
Mais pourquoi débattre inlassablement du temps qu’il fait, et du temps qui passe ? sommes-nous si obsessionnels qu’aucun autre sujet ne puisse nous captiver à ce point ?
Peut-on séparer ces deux concepts ? ils semblent imbriqués l’un dans l’autre, comme des poupées russes. Chaque jour l’être humain prend acte de l’état du ciel, mais aussi de l’inscription de la nouvelle journée qui s’ouvre sur le calendrier. Autrement dit, il cherche sa position sur le segment de la vie, accroché la tête en bas tel un panda. Sur cette barre imaginaire, notre attachement à vivre prend racine. Quotidiennement, certaines de nos angoisses trouvent ici leur source. Entre les heures qui s’égrènent et la météo… nous avançons sur le curseur.
Est-ce à dire, sur ce sujet, que tous les ressentis se valent ? que la philosophie posée, il n’est plus rien à dire ?
Non. Aujourd’hui je prends parti : je fus parisienne, longtemps. J’ai regardé le ciel bas et lourd de Baudelaire peser comme un couvercle sur l’Ile de France. Le gris ouateux enveloppait les tracas quotidiens, une main céleste les enfouissait sous terre dans le métro pour ne plus les voir.. Il est vrai que là-bas, les joies peuvent sembler moins visibles, elles ne s’étalent pas sur la plage, mais se font plus secrètes…cachées sous les manteaux. Dans les maisons, plus en repli.
Et à Nice, lorsqu’il pleut et que chaque enfant du pays y va de sa plainte, je suis, moi, happée par une délicieuse nostalgie de ma ville. Dans ma voiture les essuie-glaces, le reflet des phares, le bruit de l’eau éclaboussante, la hâte des passants à rentrer au chaud, me ramènent à mon temps. Il dura seize ans là-bas et ce temps là s’émouvait du pavé luisant des ruelles de Paris mouillé. Tous ces visages derrière les vitres des cafés. Ce temps là est à moi et ne ressemble pas à celui de ma voisine. En cela il marque sa différence. Cette indissociable réunion du vécu et du climat forment toute la singularité de notre existence. Mon pavé, mes cafés, mes embouteillages, mon RER.
Cette Côte d’Azur bleue et jaune qui clignote est étincelante, je vous l’accorde. Pourtant, je suis aussitôt plongée dans une grande béatitude lorsque la Riviera est assombrie. Pour si peu de temps, justement ! Qu’elle s’éteigne d’un coup comme cela renvoie aux Dimanches noirs à Paris, quand l’on mange de la tarte et que l’on boit du thé chaud avec les amis. Les enfants qui partent à l’école en k-way et en bottes, et reviennent avec des escargots ramassés avec la maîtresse en forêt. Le temps était ralenti, à ces moments-là. On était indulgent, avec nos rêves, nos loisirs, nos attentes, la file d’attente au cinéma sous la pluie. Forcément, pas le choix.
Ce temps là avait donc ses tons bien à lui et il dura, seize ans. Un autre coule dans le sablier, sous l’étendard des couleurs triomphantes du Sud. Si vous regardez dans le fond du kaléidoscope, que voyez-vous ? un puzzle mélangé , multicolore.
Votre temps, celui des autres et le mien, le tout en vrac.
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